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ENTRETIEN - MÉLISSA ALVES : « J'AI DÉCIDÉ D'ÊTRE DAVANTAGE ACTRICE DE MA CARRIÈRE »
Événements 11/10/2021La semaine dernière à l'US Open, Mélissa Alves est devenue la quatrième joueuse de l'histoire du squash féminin Français à atteindre les quarts de finale d'un tournoi majeur.
Mais à bientôt 28 ans, celle qui a récemment renoué avec l'entraîneur de ses débuts n'a pas l'intention de s'arrêter là. Avec son franc-parler habituel, la Guyanaise nous a accordé un long entretien dans lequel elle n'élude aucun sujet.
Propos recueillis par Jérôme Elhaïk
SON PARCOURS À PHILADELPHIE
Mélissa Alves n'avait passé que 93 minutes sur le court lors des trois premiers tours de l'US Open, avec de nets succès face à Sana Ibrahim (n°61), Lucy Turmel (n°26) et surtout Georgina Kennedy (n°51), terreur du circuit Challenger en 2021 et tombeuse de Rowan El Araby (n°10) au tour précédent.
« Sana Ibrahim est l'une des filles avec lesquelles je m'entraîne le plus souvent lorsque je vais en Égypte. J'ai eu l'impression qu'elle n'a pas très bien joué alors que je sais qu'elle peut être dangereuse. Mais c'est peut-être parce que j'étais au-dessus ce jour-là, j'ai fait un très bon match. Quand je joue contre des filles qui ont un rang proche du mien, j'ai envie de montrer que je vaux mieux que mon classement et c'est la raison pour laquelle c'est important d'avoir gagné 3-0 contre Lucy Turmel. Concernant le 1/8ème de finale contre Georgina Kennedy, je savais comment la jouer car je regarde souvent ses matches, et on s'est affrontées plusieurs fois lors de nos années universitaires aux États-Unis. Même si Gina et moi ne sommes plus du tout les mêmes joueuses aujourd'hui, le fait d'être la seule à l'avoir battue pendant cette période a peut-être pesé sur le plan psychologique. Je me suis beaucoup mieux adapté au court qu'elle, et je n'ai jamais relâché l'étreinte. Contre elle, la stratégie est assez claire : comme elle est montée sur ressorts et aime jouer à un rythme effréné, la clé était de ne pas jouer dans l'espace libre afin de perturber ses déplacements, mais aussi de prendre mon temps entre les points. Pour neutraliser ses qualités défensives, il faut être très précise et j'y suis parvenue. »
En 1/8ème de finale, Mélissa Alves (à droite) avait parfaitement neutralisé le jeu de Georgina Kennedy (Crédit photo : PSA World Tour)
Pour son premier quart de finale dans un tournoi Platinum, Mélissa Alves s'est lourdement inclinée face à une Nour El Sherbini en état de grâce.
« C'est une joueuse que j'observe beaucoup, et que j'admire. Elle a de nombreux points forts, et quelques points moins forts (on ne peut pas parler de points faibles chez elle). On a beau savoir comment elle joue, être sur le court avec elle c'est totalement différent, ça va très vite et j'ai parfois eu l'impression d'être spectatrice. Si on ne la sort pas ne serait-ce qu'un tout petit peu de sa zone de confort, on ne peut absolument rien faire. C'est la raison pour laquelle elle ne perd jamais contre des filles hors du top 8 mondial, et que contre les autres les matches durent souvent moins de 30 minutes … Elle ne m'a laissé aucune chance, et même quand la qualité de mes balles était correcte, elle terminait le point avec un coup incroyable. Pour moi, atteindre un quart de finale n'est pas une fin en soi et j'ai des ambitions plus élevées, mais c'est la numéro 1 mondiale et contre elle j'ai touché mes limites actuelles. »
« C'est fantastique de rejouer devant des tribunes pleines. »
Grâce aux points marqués à Philadelphie, Mélissa Alves (actuellement n°27 mondiale) va se rapprocher du top 20.
« Je dois dire que je ne comprends pas grand-chose au calcul du classement (elle éclate de rire) ! En général, je le découvre lorsqu'il est publié le 1er du mois. Pour savoir si j'ai intérêt à participer à tel ou tel tournoi, je m'en remets à Énora (NDLR : Énora Villard, n°4 française et sa partenaire d'entraînement à Créteil). Jusqu'à la fin de ma carrière, c'est elle qui s'occupera de ça pour moi ... »
Mélissa Alves a profité de l'US Open pour découvrir l'Arlen Specter US Squash Center. Le nouvel écrin du squash Américain comporte 20 courts dont 2 vitrés !
« Ce nouveau complexe, c'est assez fou … Avec les lumières le soir, c'est magnifique et il y a des écrans partout, à l'américaine (rires). Il n'y a pas de secret, l'argent est le nerf de la guerre et il a été financé en grande partie grâce à des dons privés. Un tel outil va forcément avoir un impact sur les résultats du squash Américain à long terme : il va permettre d'attirer davantage de jeunes, et les athlètes sont placés dans conditions idéales en termes de préparation, de récupération etc. Surtout qu'ils ne partent pas de zéro, en particulier chez les femmes où ils ont déjà quasiment quatre joueuses dans le top 20. »
Pour son premier quart de finale en Platinum, Mélissa Alves (au premier plan) s'est heurté à la numéro 1 mondiale Nour El Sherbini (Crédit photo : PSA World Tour)
Depuis quelques mois, le public a fait son retour et les tribunes étaient bien remplies à Philadelphie.
« Quel bonheur de revivre ça ! Déjà qu'on n'est pas un sport très connu en dehors de notre cercle, si en plus les passionnés ne peuvent pas venir nous voir jouer … J'étais dans les tribunes pour les demi-finales, c'était plein et il y avait une très belle ambiance. Concernant mes matches, c'était sympa d'avoir des encouragements. Je ne connais pas les filles de l'équipe universitaire car elles n'étaient pas là à mon époque, mais le coach les a incitées à venir m'encourager. Il y avait aussi le kiné, ainsi que le médecin qui m'a soignée lorsque je m'étais blessée au pied. »
VIVEMENT LA SUITE ...
Mélissa Alves disputera le DAC Pro Squash Classic (Bronze) à Détroit à partir du 19 octobre, et est restée aux États-Unis après l'US Open.
« Je vais m'entraîner à plusieurs endroits entre les deux tournois, en commençant par Philadelphie. Philly, c'est 'the place to be' en ce moment pour le squash ! C'est l'idéal pour trouver des partenaires d'entraînement, avec des styles de jeu très différents. À Détroit, je vais rejouer contre Sana Ibrahim au premier tour et si je gagne j'affronterai Nouran Gohar. J'aurais évidemment préféré avoir un meilleur tirage, elle joue à un niveau incroyable en ce moment et on a l'impression qu'elle est en mission. Ensuite, je me suis inscrite sur un autre tournoi Bronze en Malaisie fin novembre mais je ne suis pas encore sûre d'y aller, ça va dépendre de mon programme d'entraînement. Puis en décembre, il y aura un tournoi Gold en Égypte. »
Depuis quelques mois, Mélissa Alves a passé pas mal de temps au pays des Pharaons.
« À chaque tournoi là-bas, j'ai pris l'habitude soit d'arriver plus tôt, soit de prolonger mon séjour après. Je ne suis pas difficile, je suis prête à m'entraîner n'importe où et avec n'importe qui ! En 2019, j'avais disputé l'exhibition organisé à l'île Maurice par Rémy Mabillon, et Raneem El Welily y était. Je lui avais dit que j'étais fan de son jeu, et que j'adorerais avoir l'occasion de m'entraîner avec elle. Ça n'a jamais pu se faire car elle est tombée enceinte et a mis un terme à sa carrière, mais elle et son époux Tarek Momen m'ont néanmoins hébergée plusieurs fois. »
Mélissa Alves (à gauche, en compagnie de ses partenaires d'entraînement Camille Serme et Énora Villard) est convaincue que la numéro 4 mondiale va revenir à son meilleur niveau après sa blessure au tendon d'Achille (Crédit photo : Camille Serme)
Mélissa Alves, leader du squash Français en l'absence de Camille Serme ?
« Pas du tout, pour plusieurs raisons. Déjà, avec les absences de Camille et d'Énora, il n'y avait que moi et Coline Aumard à l'US Open, je me sentais un peu seule (rires). Ensuite, ça fait tellement longtemps qu'il n'y a pas eu de compétitions internationales, je suis davantage focalisée sur moi-même que sur l'équipe de France. Enfin, concernant Camille je suis persuadée qu'elle va revenir à son meilleur niveau. C'est une guerrière, et elle a encore de belles années devant elle. (On lui demande si ne pas pouvoir s'entraîner avec elle en ce moment est préjudiciable). Je dirais oui et non. Oui, car j'aime beaucoup être sur le court avec Camille. Non, déjà parce qu'il y a d'autres joueuses à Créteil, Énora et Marie Stéphan, mais aussi car ça ne me pose aucun problème de me déplacer pour avoir de la confrontation. Par exemple, j'envisage d'aller prochainement à Aix-en-Provence pour m'entraîner avec les garçons du pôle espoirs. »
LE FRUIT DU TRAVAIL
Après un début d'année 2021 mitigé, Mélissa Alves avait affiché un excellent niveau de jeu lors des deux précédents tournois (British Open et CIB Egyptian Open), et ce premier quart de finale en Platinum est venu comme une suite logique.
« Avant la crise sanitaire, j'étais plutôt contente de mon niveau de jeu, mais quand le circuit a repris je n'ai pas eu les résultats escomptés. Or, la régularité est la clé pour monter au classement. De plus, j'ai eu quelques blessures et quand tu rentres sur le court avec la peur de te faire mal, ce n'est pas la meilleure manière de jouer en confiance. Depuis quelques temps, je me sens de mieux en mieux à chaque tournoi, et à chaque match. Je ne pense pas qu'il y ait eu un déclic : disons plutôt que j'ai décidé de me responsabiliser et de devenir davantage actrice de ma propre carrière (voir ci-dessous RETOUR AUX SOURCES). Concrètement, ça veut dire que je participe à la planification de mes entraînements, ce que je ne faisais pas forcément auparavant. Ensuite, c'est sans doute le travail effectué en amont – notamment avec mon préparateur physique Thomas Adriaens – qui se traduit en compétition : tenir 70 minutes, comme contre Nele Gilis au British Open, je pouvais certainement déjà le faire avant, ce n'est pas quelque chose qui tombe du ciel. Néanmoins, ça fait du bien de savoir que j'en suis capable, même si ma filière sera toujours de jouer des matches d'une quarantaine de minutes. De toute manière, quand on veut aller au bout d'un tournoi il faut être prête à affronter tous les types de situations. »
« Mon objectif est de me rapprocher rapidement du top 15 mondial. »
Le parcours d'Olivia Fiechter à l'US Open, où l'Américaine a atteint les demi-finales, montre que le circuit est féminin est très ouvert à l'heure actuelle.
« Effectivement, rien n'est impossible en ce moment. Il n'y a pas vraiment eu de pause entre les saisons 2020-2021 et 2021-2022, et les degrés de forme sont assez variables. Pour les joueuses entre 15 et 40, l'objectif est d'être au top lorsqu'elles affrontent celles qui sont mieux classées, car des opportunités peuvent se présenter. En ce qui me concerne, mon objectif à court/moyen terme est de me rapprocher du top 15, en essayant de profiter des quelques compétitions qui restent à disputer en 2021. Il ne faut pas oublier une chose : dans un tournoi majeur, je joue généralement 2 voire 3 matches, alors que celles qui vont très loin, c'est plutôt 4 ou 5. À l'échelle d'une saison, ça fait une sacrée différence ! Je prends un exemple : Amanda Sobhy a de super résultats depuis plusieurs mois, et elle est arrivée à l'US Open après avoir remporté le titre à San Francisco. Elle était au bout du rouleau et est tombée sur une adversaire, Olivia Fiechter, qui avait les crocs. »
En battant Nele Gilis au British Open à la mi-août, Mélissa Alves (à droite) avait décroché une victoire référence (Crédit photo : PSA World Tour)
RETOUR AUX SOURCES
Il y a quelques semaines, Mélissa Alves a opéré un changement important : elle n'est plus entraînée par Philippe Signoret mais par Christophe Carrouget, avec qui elle avait débuté à 5 ans en Guyane. Elle continuera à faire partie du pôle France à Créteil et se rendra de temps en temps à Clermont-Ferrand, où ce dernier est depuis peu responsable du centre d'entraînement régional.
« C'est un peu un retour aux sources ! Sans Christophe, je ne jouerais certainement pas au squash et on a vécu énormément de choses. On s'était toujours dit qu'on aimerait retravailler ensemble un jour, c'est en quelque sorte la suite de l'histoire … Son retour en métropole a été une opportunité, surtout que de mon côté je sentais que je stagnais depuis quelques temps, j'avais besoin de changer quelque chose. En discutant avec Philippe, je me suis rendu compte qu'il pensait la même chose. Il a compris ma décision, il n'y a aucun problème entre nous d'autant que lui et Christophe s'entendent très bien. D'autre part, quand je suis à Créteil et qu'il est derrière le court, le fait qu'il ne soit plus mon entraîneur ne va pas l'empêcher d'intervenir ponctuellement. La France, ce n'est pas l'Égypte, on n'est pas aussi nombreux et l'intérêt commun est que tous nos joueurs et joueuses aillent le plus haut possible. On est une équipe ! Personnellement, je suis la première à être ravie des bons résultats des garçons, et c'était génial de voir trois drapeaux Français côte à côte sur le programme de SquashTV lors des 1/8ème de finale de l'US Open ! »
« Avec Christophe Carrouget, on s'est toujours dit qu'on retravaillerait ensemble un jour. »
Entre Créteil, Clermont-Ferrand et le circuit international, quelle sera l'organisation de Mélissa ?
« Ça va être à mon image, sans se prendre la tête (rires) … Plus sérieusement, avec les déplacements sur les tournois et les éventuelles blessures, c'est difficile de définir une planification très stricte longtemps à l'avance. J'ai été une semaine à Clermont-Ferrand avant l'US Open, et j'y retournerai de temps en temps. Le programme sera plus ou moins le même à chaque fois, c'est-à-dire une séance individuelle avec Christophe tous les matins et de la confrontation avec les jeunes du CER l'après-midi, principalement Melvil Scianimanico et Mattéo Carrouget – sachant que je peux également faire des séances physiques de mon côté. Qu'il se déplace avec moi sur des tournois prochainement, c'est une possibilité. On peut espérer un retour complet à la normale en 2022 (NDLR : au CIB Egyptian Open et à l'US Open, l'encadrement était autorisé à se rendre sur place mais hors de la bulle sanitaire), et j'en profite pour souligner que la présence et le soutien de Renan Lavigne ont été très importants à l'US Open. Pour revenir à Christophe, faire venir son propre entraîneur a un coût, il va falloir que je commence à gagner des Platinum (rires) ! D'ailleurs, j'ai gagné autant d'argent à l'US Open qu'en passant deux tours de moins en Égypte. Je n'ai pas choisi le bon moment pour aller en quart de finale, d'autant que le coût de la vie est nettement plus élevé aux États-Unis ... »
Christophe Carrouget et Mélissa Alves, c'est une histoire qui a débuté il y a plus de 20 ans et qui vient de reprendre son cours (Crédit photo : SiteSquash)
Arrivé en 1999 en Guyane, Christophe Carrouget a rapidement mis en place un pôle espoirs à Kourou, avec de superbes résultats à la clé : 16 titres nationaux individuels en jeunes (dont cinq pour Mélissa Alves), et de nombreuses sélections en équipe de France. Depuis son retour en métropole, il n'a pas été remplacé …
« C'est dommage, j'espère sincèrement que le poste va être pourvu rapidement. J'en profite pour lancer un message aux entraîneurs en métropole, ça conviendrait parfaitement à quelqu'un qui a envie de tenter une aventure. Ce n'est pas comme s'il fallait partir de zéro, tout est déjà en place là-bas : la seule chose qu'il aura besoin d'apporter, c'est sa bonne humeur ! Il y a une école de squash avec 80 jeunes, ainsi qu'une groupe d'adultes très dynamique. Pour l'instant, ce sont des bénévoles qui ont pris le relais, mais ça ne pourra pas tenir sur la durée. Alors que Christophe est parti il y a quelques mois, une dizaine de jeunes va faire le déplacement à Lille pour les championnats de France à la fin du mois, c'est un signe qu'il y a encore une belle dynamique. Je serai d'ailleurs sur place pour les encourager, notamment mon cousin qui sera dans le tableau -11 ans. »
LE PLAISIR COMME MOTEUR
Après avoir passé quatre ans à l'université de Pennsylvanie, Mélissa Alves évolue sur le circuit international à temps plein depuis septembre 2018. Alors qu'elle fêtera ses 28 ans le 29 décembre, a-t-elle un plan précis pour les années à venir ?
« Dans ma tête, je ne me suis pas dit que j'allais arrêter à tel ou tel âge, avoir un compte à rebours peut être compliqué à gérer. Même si plus ou moins consciemment on sait à peu près combien d'années il nous reste, ça dépend de tellement de choses : par exemple, du niveau de jeu, ou des blessures. En ce qui me concerne, j'ai 27 ans mais je n'ai que trois ans de circuit derrière moi, je ressens certainement moins d'usure que d'autres joueuses de mon âge. L'autre facteur très important, c'est le plaisir : certes ça n'a pas toujours été facile pendant la crise sanitaire, et certains jours on n'a pas envie de se lever le matin pour faire une séance physique, néanmoins on n'a pas le droit de se plaindre. Le fait de continuer à progresser contribue à la motivation, et je suis toujours aussi excitée à l'approche des tournois. Il faut être consciente qu'en tant qu'athlète de haut niveau on a la chance d'avoir une belle vie, et de vivre des émotions fortes. »
Sur la lancée de son superbe parcours à Philadelphie, Mélissa Alves est projetée sur un futur qu'elle veut plein d'ambition (Crédit photo : PSA World Tour)