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DÉBAT ARBITRAGE - AVANCER ENSEMBLE
Événements 23/04/2020Quel que soit le sport, l'arbitrage est souvent au centre des discussions. En fin de semaine dernière, des acteurs majeurs du squash hexagonal se sont réunis – par écrans interposés – pour débattre autour de plusieurs thématiques.
Nous vous proposons ci-dessous un best of de ces échanges enrichissants, au cours desquels les différentes parties (joueurs, entraîneurs, arbitres) ont exprimé une volonté commune : augmenter les interactions afin d'avancer ensemble.
Article de Jérôme Elhaïk
Intervenants
Animateur : Nicolas SAJAT (conseiller technique national, responsable de la formation)
Arbitres fédéraux : Nicolas BARBEAU, Vincent BRYGO, Laurent COMBALUZIER, Stéphane ESSAYIE, Bruno JACOB, Arnaud MARINHO, Marc PALMIERI, Pascal PIANFETTI, Joaquim RISSETTO
Sportifs de haut niveau : Mathieu CASTAGNET, Victor CROUIN, Auguste DUSSOURD, Camille SERME, Lucas SERME
Entraîneurs nationaux et fédéraux : Stéphane BREVARD, Renan LAVIGNE, Philippe SIGNORET
1 - LE NIVEAU DE L'ARBITRAGE FRANÇAIS
Camille SERME : Le championnat de France Élite est pratiquement la seule compétition où je croise les arbitres français. Dans leurs explications, on a parfois l'impression qu'ils ne nous connaissent pas et ne regardent pas ce qui se passe au plus haut niveau mondial. Leur niveau est inférieur à celui des meilleurs, mais pour être honnête les joueurs se plaignent également sur les gros tournois PSA … Arbitre, ce n'est pas un métier facile !
Lucas SERME : D'autant plus dans le squash, où les décisions sont soumises à une grande part de subjectivité.
Renan LAVIGNE : Il faut souligner qu'il y a un groupe d'arbitres français qui s'est constitué. On bénéficie de leur présence et de leur professionnalisme. Oui, il y a un décalage par rapport au niveau international, dû à un manque de constance dans les décisions et à des problèmes dans la conduite des matches. Un bon arbitre doit être quasiment invisible : quand un match s'est bien déroulé, on ne se souvient ni de ses décisions ni de son nom ...
Victor CROUIN : Pour rebondir sur ce que disait Camille, il faut faire la distinction entre le plus haut niveau et le reste. D'après mon expérience sur les « petits » tournois PSA, ainsi que les circuits universitaires ou junior, la qualité de l'arbitrage en France n'est pas inférieure à celle des autres pays.
Joaquim Rissetto, Simon Saunders et Marc Palmieri (ici en compagnie de Pierre Bernard) font partie du collectif des arbitres fédéraux (Crédit photo : Nicolas Barbeau)
Marc PALMIERI : En effet, il faut comparer ce qui est comparable et on n'a pas la prétention d'être au niveau des meilleurs (comme John Massarella, Roy Gingell et quelques autres). Tout en étant conscients d'avoir beaucoup de progrès à faire, en suivant les axes de travail évoqués au préalable, on est satisfaits du travail effectué depuis quelques années. Il n'y a pas si longtemps, il n'y aurait eu que 2 ou 3 arbitres à ce webinaire …
Philippe SIGNORET : Les problèmes d'arbitrage, ils existent à l'échelle internationale. En théorie, appliquer les règles devrait être simple, pourtant les décisions des arbitres sont parfois désavouées par leur responsable lui-même. Les directives actuelles visent à éviter les lets, afin de raccourcir les matches pour les télévisions, les sponsors etc. Les joueurs ont même pour consigne de ne pas ouvrir la porte du court pour discuter avec l'arbitre à partir des demi-finales, car ces matches sont diffusés sur davantage de chaînes ...
"On est conscients d'avoir du travail à faire pour arriver au niveau des meilleurs" Marc Palmieri
Auguste DUSSOURD : En ce qui me concerne, je dispute régulièrement des tournois entre 10 et 30 000 $, et je confirme que les joueurs ne sont pas plus satisfaits qu'après un championnat de France. Je pense que les arbitres connaissent bien les règles, mais qu'il y a parfois un manque de compréhension des situations au moment de les appliquer.
Renan LAVIGNE : On entend que les jeunes se plaignent de l'arbitrage. Mais en regardant des matches du dernier Open de France junior, j'ai observé que bon nombre d'eux avaient de grosses lacunes en la matière. Il y a donc un travail à faire à ce niveau-là.
Nicolas BARBEAU : Je fais le même constat lors des championnats de France jeunes. Pour pouvoir argumenter sur la qualité de l'arbitrage, un joueur doit d'abord connaître les règles et faire preuve de respect. L'open de France junior, je le conseille vivement aux arbitres qui veulent acquérir de l'expérience, car il se passe toujours quelque chose ! Entre les joueurs qui font 10 000 demandes (sic) par match et les parents/coaches qui invectivent l'arbitre, c'est le terrain parfait pour apprendre à contrôler un match et ses émotions.
2 - LE TEMPS, C'EST DE L'ARGENT
Nicolas BARBEAU : Le mot métier a été prononcé, mais arbitre n'en est pas un. On a la chance en France d'avoir une Commission Nationale d'Arbitrage très structurée et un président, Christophe Gimenes, qui défend au mieux nos intérêts auprès des promoteurs. Il n'en demeure pas moins que nous sommes bénévoles, il est donc difficile d'exiger de notre part une qualité optimale. Pour moi, l'arbitrage repose à 20 % sur une connaissance parfaite des règles (ce qui est le plus facile …) et sur la compréhension du jeu, et à 80 % sur l'expérience, qui ne peut s'acquérir qu'en se déplaçant sur les compétitions. Pour progresser en étant au contact du haut niveau, il faudrait faire un tournoi PSA par mois. Mais qui peut se permettre ça, sachant que dans le meilleur des cas on rentre dans nos frais ?
Mathieu CASTAGNET : Il ne faut pas oublier qu'un joueur qui débute ne gagne pas d'argent non plus. Pour financer une saison sur le circuit, nous faisons appel à divers partenaires (privés ou publics) : ont-ils envisagé de faire la même chose, pas à titre personnel mais par exemple en créant une association ? L'arbitre véhicule certaines valeurs et je suis persuadé que certains partenaires seraient ravis d'être associés à leur image.
Victor CROUIN : Je suis conscient qu'on n'a pas suffisamment de densité dans l'arbitrage français, mais selon moi on ne peut pas aspirer à progresser et à devenir arbitre de haut niveau si on n'a pas le temps suffisant. Si je prends mon exemple, je suis actuellement joueur de squash à mi-temps (NDLR : Victor est étudiant au sein de la prestigieuse université d'Harvard) mais je fais tout pour consacrer le plus de temps possible à mon sport.
Nicolas BARBEAU : Il y a selon moi une différence fondamentale : les joueurs ont des objectifs en termes de classement, de palmarès etc. qui peuvent les amener à gagner plus d'argent. Moi, si demain je deviens le meilleur arbitre du monde, je ne pourrai pas en vivre pour autant !
Victor CROUIN : Je suis d'accord mais dans ce cas on en revient à la question essentielle, il faut plus d'argent dans l'arbitrage sinon on ne pourra pas avancer.
Vincent Brygo (ici lors l'open national de Valenciennes) fait partie d'une Ligue (les Hauts-de-France) qui valorise les arbitres fédéraux Crédit photo : Nicolas Barbeau)
Nicolas SAJAT : Même si on ne peut pas demander le même investissement à un arbitre qu'à un joueur, il faut essayer de tendre vers ça. Il faut savoir que la Commission Nationale d'Arbitrage défraie des arbitres fédéraux pour qu'ils se rendent sur certains championnats de France, mais elle ne peut pas le faire pour tous. Il faut donc peut-être changer le modèle économique de l'arbitrage en France, soit par la redirection des lignes budgétaires, soit en explorant les pistes évoquées par Mathieu.
Arnaud MARINHO : Dans la Ligue des Hauts-de-France, notre juge-arbitre (Philippe Duquennoy) impose aux organisateurs des tournois nationaux de faire appel à des arbitres fédéraux. C'est une chance, mais ce n'est pas le cas dans les autres régions.
Joaquim RISSETTO : Entre septembre 2018 et mai 2019, j'ai pris 21 jours de congés pour arbitrer, et ça ne tient pas compte des weekends. Personne ne m'y a obligé, mais on sait s'investir. Je voudrais dire aussi aux joueurs que les arbitres savent se remettre en question. Après un mauvais match, on débriefe énormément pour savoir ce qu'on aurait pu faire pour que ça se passe mieux. On n'est pas dans un tour d'ivoire et on ne pense pas être les meilleurs.
"Les arbitres ne pourraient-ils pas démarcher des partenaires, par exemple en créant une association ? Mathieu Castagnet
Pascal PIANFETTI : Le squash est un sport de duel, et une intervention de l'arbitre engendre rarement une décision neutre. C'est un rôle très ingrat, et je peux vous dire qu'on le vit très mal quand on sait qu'on n'a pas été bon.
Marc PALMIERI : En ce qui me concerne, je suis un peu d'accord avec les joueurs. Oui, l'argent est le nerf de la guerre, mais le professionnalisme est avant tout un état d'esprit. Ça ne nous fera peut-être pas gagner d'argent, mais c'est en l'adoptant le plus souvent possible qu'on gagnera en légitimité.
Philippe SIGNORET : On a parfois des joueurs qui nous disent qu'une fois leur carrière professionnelle terminée ils deviendront arbitres, mais curieusement aucun d'eux ne franchit le pas (rires). Il faut être honnête, c'est un rôle que peu de monde aime endosser, notamment en raison du comportement des joueurs et même des spectateurs. Mais si on pouvait changer cette image, on aurait plus de candidats et parmi eux des gens qui ont eu du temps à investir dans l'arbitrage.
3 - DES À PRIORI, VRAIMENT ?
Victor CROUIN : En tant que joueur, on a d'autres choses à penser. Même s'ils existent, il faut mettre ses à priori de côté et ne surtout pas prendre ça en compte pour établir sa stratégie.
Auguste DUSSOURD : Je suis d'accord, il ne faut pas se focaliser là dessus. Certes, on a tous un vécu et il est possible qu'un joueur ait déjà eu quelques matches tendus avec un arbitre. Mais c'est le cas dans tous les sports, et jamais je ne me dis « L'arbitre va me faire perdre le match » en rentrant sur le court.
Nicolas BARBEAU : Je ne sais pas si on peut parler d'à priori, mais sur le circuit national on a l'avantage de bien connaître les joueurs et leurs comportements. Par exemple, si l'un d'entre eux réagit de telle ou telle façon, je sais si c'est lié à une décision qu'il estime mauvaise de ma part ou s'il disjoncte tout seul. Cela dit, c'est bien aussi d'arbitrer sans connaître les joueurs pour n'avoir aucun à priori.
Philippe SIGNORET : Je revendique un côté humain, et ça m'arrive d'être contrarié quand j'apprends le nom de l'arbitre avant un match (rires). Mais non seulement on passe rapidement à autre chose, mais ça arrive aussi souvent qu'on se dise après-coup, « finalement il a fait un bon match ... »
Deux joueurs perplexes avant l'annonce de la décision, voilà une scène qui fait partie du quotidien d'un arbitre ... (Crédit photo : Nicolas Barbeau)
Vincent BRYGO : Même s'il faut les éluder au maximum, les à priori sont inévitables car on a tous une expérience. Un arbitre peut se mettre la pression lorsqu'il croise de nouveau un joueur avec lequel ça s'est mal passé, alors que ce dernier peut penser que les décisions vont être en sa défaveur.
"En tant que joueur, on ne doit pas prendre en compte le nom de l'arbitre pour établir sa stratégie" Victor Crouin
Marc PALMIERI : Quand on prend place sur la chaise d'arbitre, il ne faut pas anticiper les problèmes qui pourraient éventuellement se produire. Nous sommes des êtres humains, en se mettant la pression on augmente la probabilité que les décisions ne soient pas celles qu'elles devraient être.
Renan LAVIGNE : Ma fonction d'entraîneur ne m'autorise pas à avoir des à priori. Par contre, il faut qu'on arrive à faire des différenciations. Joueurs, entraîneurs, dirigeants et arbitres, chacun doit rester dans son rôle et on ne peut pas tous se mélanger pendant une compétition si on veut tendre vers une professionnalisation. Les arbitres doivent s'isoler avant les matches, et se préparer de la même manière qu'un joueur. Quant aux possibles échanges après les matches, il faut qu'ils déroulent dans un cadre formel et non pas dans le club au milieu du public.
4 - AMÉLIORER LES INTERACTIONS
Renan LAVIGNE : Il faut créer du lien entre les différentes parties, par exemple pendant les compétitions avec des débriefings sur les matches de la veille. La PSA avait mis ça en place il y a quelques temps, mais ça ne se fait plus et c'est dommage car ça permettait de se comprendre.
Camille SERME : On m'avait demandé de participer à l'une de ces réunions après une défaite contre Laura Massaro, au Tournament of Champions à New York, en présence de l'arbitre et de son référent (Lee Drew). J'avais accepté car ça me permettait de revoir des actions du match, et des choses que je n'avais pas comprises. On pourrait mettre ça en place en France, afin d'avancer ensemble.
Mathieu CASTAGNET : Je trouve incroyable la capacité à faire ça le lendemain d'une défaite, je ne sais pas si j'en serais capable.
Camille SERME : Je suis persuadée que c'est une bonne idée, et tant pis pour celles et ceux qui ne veulent pas y participer !
Mathieu CASTAGNET : Personnellement, on ne m'a jamais sollicité pour discuter avec les arbitres français. Vous avez une vision extérieure, et nous une vue intérieure de ce qui se passe sur le court. Il n'y a aucune interaction qui permette de les confronter, et du coup lorsqu'on prépare un match on ne sait pas à quoi s'attendre. Je pense qu'en amont d'un événement national, il faudrait donner un cadre et des directives aux joueurs. Ça pourrait même se faire par visio-conférence, et je pense que ces échanges seraient extrêmement positifs.
Marc PALMIERI : J'encourage les arbitres en devenir à initier des discussions avec les joueurs et surtout les entraîneurs, en ce qui me concerne elles m'ont beaucoup fait progresser. Mais ça ne doit pas se faire à chaud, ni être systématique : plus on monte de niveau, moins elles doivent être fréquentes. Je suis d'accord avec ce qui a été dit auparavant, il faut avoir des échanges formels entre nous. Ce sera d'autant plus facile de les intégrer quand on aura posé tous les jalons d'une professionnalisation de nos compétitions.
Les acteurs du squash Français espèrent tous que les échanges initiés lors de ce webinaire ne seront pas sans lendemain
Lucas SERME : Je pense également qu'il serait bénéfique de réunir arbitres et joueurs, et de revenir sur les points importants d'un match dans un environnement contrôlé où chacun peut apprendre. Les arbitres n'ont pas le même ressenti que nous de ce qui se passe sur le court, mais à l'inverse beaucoup de joueurs manquent d'expérience de l'arbitrage et de ses règles.
Victor CROUIN : On parlait des à priori auparavant, mettre un dialogue en place permettrait de les effacer. Je suis favorable à ce genre de réunions, qui permettraient d'installer un respect mutuel et d'avancer ensemble.
Nicolas BARBEAU : L'idée est attrayante, mais personnellement je ne conçois pas d'aller voir un joueur pour discuter de l'arbitrage après un match. D'autant plus si c'est le perdant, et de son côté le gagnant est déjà en train de préparer le match suivant. Quand j'ai commencé l'arbitrage, je m'imaginais que j'allais être ami avec les joueurs et partir en vacances avec eux (rires), mais j'ai rapidement compris qu'on évoluait dans deux univers différents. Chacun son rôle, et comme disait Renan moins on parle d'un arbitre, mieux c'est. Je me souviens qu'il y a une quinzaine d'années, la PSA avait demandé aux joueurs de remplir un formulaire pour évaluer l'arbitre de leur match. Ça avait tenu 3 mois, car le gagnant ne le remplissait pas et le perdant nous massacrait ...
"Il faut envisager de créer de nouveaux réseaux de communication réunissant arbitres, joueurs et entraîneurs" Nicolas Sajat
Philippe SIGNORET : Comme tout le monde, je pense qu'un rapprochement serait bénéfique. Récemment, il y a plusieurs décisions sur des matches des Français en PSA qui ont soulevé des questions, je pense à Camille contre Hania El Hammamy au Black Ball et Lucas contre Daryl Selby à Chicago. Pourquoi ne pas avoir un référent vidéo parmi nos arbitres français, qui serait responsable d'analyser tout ça et de faire un retour ? Nous avions été les premiers à instaurer la règle des 11 points, ça avait fait râler les autres pays mais finalement ils ont tous suivi. On pourrait faire la même chose en matière d'arbitrage, et essayer d'avancer plus vite que les autres. Si on instaure une communication entre joueurs, entraîneurs et arbitres, c'est possible.
Nicolas SAJAT : Il faut préciser qu'il existe déjà des outils de communication interne pour les arbitres : la sphère Whaller, qui concerne tous les officiels, le groupe Whatsapp des arbitres fédéraux etc. Mais à la lumière de ce qui a été dit jusqu'à présent, il faut envisager de créer de nouveaux réseaux de communication qui intègreront tous les acteurs, sans oublier que ces outils reposent entièrement sur l'investissement des personnes : par exemple la page Facebook Arbitrage Squash n'existe pas sans Nicolas Barbeau. Les ressources humaines étant limitées, on peut imaginer faire appel à des personnes extérieures pour animer ces nouveaux réseaux.
5 - LA FORMATION CONTINUE
Nicolas SAJAT : Depuis quelques années, la CNA et la commission des formations ont établi que les arbitres fédéraux devaient se soumettre tous les ans à une remise à niveau via une plateforme en ligne. Ils doivent remplir des questionnaires et passer plusieurs tests vidéo. Aujourd'hui, ils sont au nombre de 12, et il faut être titulaire d'un diplôme d'arbitre 2ème degré pour postuler à devenir arbitre fédéral.
Renan LAVIGNE : Il faut également préciser qu'un panel, composé notamment de membres de la DTN comme des entraîneurs nationaux, est sollicité pour désigner les arbitres qui officieront sur les championnats de France. Ces derniers font acte de candidature, mais ça ne veut pas dire qu'ils seront sélectionnés automatiquement.
Marc PALMIERI : Quand j'ai débuté, on était au niveau zéro en termes de structure des formations et le parcours effectué depuis 10 ans est énorme. Nicolas, je t'ai vu fabriquer des supports de formation en partant de rien, et de notre côté nous avons essuyé les plâtres sur le terrain. Le niveau progresse, nous avons les outils. Comme évoqué précédemment, il faut maintenant développer les échanges comme celui que nous avons aujourd'hui. On met également des choses en place au niveau international : nous avons fait venir des évaluateurs étrangers lors des playoffs des Interclubs, Roy Gingell en 2015 à Rennes et Marko Podgorsek l'an dernier à Bordeaux. Il était prévu que Marko revienne cette année, mais la compétition n'aura sans doute pas lieu. Concernant des échanges avec d'autres pays (Angleterre et Allemagne notamment) sur certaines compétitions, le projet est dans les tuyaux. Reste maintenant à trouver les moyens pour le mettre en œuvre.
Le travail vidéo est l'un des moyens à la disposition des arbitres pour se former en continu (Crédit photo : PSA World Tour)
Nicolas BARBEAU : On est nombreux à dire que regarder les matches sur Squash TV permet de se former, mais ça peut aussi amener une certaine confusion et je vais vous raconter une anecdote à ce sujet. Lors des playoffs, j'arbitre le match entre Mathieu Castagnet et Grégoire Marche et je suis évalué par Marko Podgorsek. Au cours des tournois précédents, j'avais remarqué que les arbitres avaient de plus en plus tendance à dire « Accept or review » aux joueurs pour couper court aux discussions. Même si ça n'est pas trop mon style car j'aime bien échanger avec eux, je décide donc d'aller dans ce sens : pendant le match, Mathieu me demande une explication mais je lui coupe la parole, en lui disant que ce n'est pas la peine de discuter et que la décision est prise. J'ai donc fait un « Accept or review, » mais sans la vidéo (rires) … Le problème, c'est que pendant le débrief Marko m'a dit que j'aurais dû laisser Mathieu s'exprimer, afin de savoir ce qu'il avait à dire ! En résumé, c'est difficile de comprendre ce qui se passe si on n'est pas impliqué sur le circuit au quotidien. Qu'on le veuille ou non, les matches que l'on voit sur Squash TV sont ceux qui donnent la ligne directrice. On voit les décisions, certaines nous étonnent mais on n'a pas les explications qui vont avec. Ce qui serait super, c'est d'avoir une vidéo où l'arbitre nous dit « cette décision, c'était une erreur et je l'assume, alors que celle-là elle peut paraître mauvaise mais je l'ai prise pour telle ou telle raison. »
"Regarder les matches sur SquashTV c'est bien, mais ce serait bien de connaître le raisonnement de l'arbitre pour certaines décisions" Nicolas Barbeau
Mathieu CASTAGNET: Il faut également visionner des matches en intégralité. Quand on regarde des actions isolées, on n'a pas tout le contexte et on peut ne pas comprendre pourquoi l'arbitre va sanctionner un joueur, par exemple s'il bloque systématiquement l'accès à la balle pour son adversaire. Être arbitre, ce n'est pas seulement donner la bonne décision au bon moment, c'est aussi gérer ses émotions. Si on ne regarde qu'un extrait du match, on ne saura pas qu'il se fait bousculer par les joueurs depuis une heure voire plus, où qu'il s'est fait huer par 500 personnes après avoir sanctionné le joueur local.
Nicolas SAJAT : En effet, regarder un match en entier réduit la part de subjectivité, mais il faut préciser que les tests vidéos que passent les arbitres sont décontextualisés : il faut donner non pas forcément la décision qui a été prise pendant le match, mais celle qui a été validée par le collectif des arbitres fédéraux pour cette action en particulier.
6 - LES RELATIONS AVEC LES INSTANCES INTERNATIONALES
Nicolas SAJAT : Au cours de la dernière décennie, la Fédération Française de Squash a organisé plusieurs championnats du monde, et seuls les arbitres de la WSF (World Squash Federation) étaient indemnisés. Autrement dit, les autres étaient seulement défrayés alors qu'ils devaient se libérer une semaine entière. On sait qu'il est compliqué et fastidieux d'intégrer ces groupes. Marc, toi qui es le plus gradé parmi les arbitres français, peux-tu nous faire part de ton expérience ?
Marc PALMIERI: Il faut reconnaître que l'accession au haut niveau n'est pas quelque chose de totalement transparent. D'après les discussions que j'ai eues, notamment avec Roy Gingell, responsable de la formation et de la promotion de l'arbitrage au sein de la WSF, le plus difficile est d'avoir la visibilité qui permette d'être repéré. La première chose est d'avoir un système interne permettant de former des gens ayant les capacités suffisantes pour officier sur des compétitions comme les championnats d'Europe par équipe. J'ai été le premier appelé et d'autres ont suivi, ce qui prouve que notre travail est reconnu. Malheureusement, on ne sait pas toujours quoi faire pour monter en grade. Par exemple, on m'a annoncé que je passais arbitre européen juste après l'un des matches les plus compliqués de ma vie. Aujourd'hui, je ne sais pas ce que je dois faire de plus pour être arbitre WSF, ni pourquoi je suis appelé ou non sur des tournois PSA. On a du mal à avoir les réponses, pour savoir sur quelle ligne se placer pour progresser.
Parmi les arbitres présents au dernier championnat d'Europe par équipes, il y avait plusieurs Français (Crédit photo : #ETC2019)
Nicolas BARBEAU : Si même Marc Palmieri, qui est très impliqué et le plus avancé d'entre nous dans le système, ne sait pas comment ça se passe, ça montre bien qu'il y a une volonté que les choses ne soient pas transparentes. Je vais dire quelque chose qui n'est pas politiquement correct, mais l'arbitrage est contrôlé par les anglais et c'est très compliqué de s'intégrer. En l'absence de règles claires, on peut saisir des opportunités en contactant directement des promoteurs comme j'ai pu le faire dans le passé. Si tu es prêt à te déplacer à tes frais, ça te fait une expérience ...
Renan LAVIGNE : Sur les tournois PSA, la majorité des arbitres est si ce n'est anglaise, du moins anglo-saxonne. Il arrive que nos joueurs soient arbitrés par un officiel qui est de la même nationalité que leur adversaires. Sans aucunement remettre en cause leurs compétences ni leur intégrité, ça pose un problème d'éthique car on ne sait pas comment les attributions sont effectuées.
Marc PALMIERI : On a tendance à devenir un peu schizophrènes avec les instances internationales. On a parfois l'impression qu'ils veulent nous intégrer, mais ensuite ce n'est plus le cas. Mais je vais également prendre leur défense : je sais que Roy a la volonté de professionnaliser le système de formation et de détection des arbitres. L'objectif est de faire le tri, de promouvoir les éléments à fort potentiel et de ne pas donner un grade à des gens qui ne le méritent pas ou plus. Eux aussi travaillent et ont des problématiques identiques aux nôtres, à une échelle différente.
En conclusion, tous les protagonistes s'accordent à dire que même s'il y a du travail à faire pour arriver au niveau des meilleurs mondiaux, les arbitres français ont parcouru beaucoup de chemin depuis quelques années (notamment grâce à la structuration des formations) et n'ont rien à envier à ceux des autres pays. Pour continuer dans cette voie, deux pistes principales ont été évoquées : tout d'abord, la hausse des moyens financiers alloués à l'arbitrage, qui donnerait à ses représentants bénévoles la possibilité de gagner en expérience et de tendre vers une professionnalisation. Ensuite, une augmentation du nombre et de la qualité des interactions entre les différents acteurs. Arbitres, joueurs, entraîneurs, tous sont unaninement enthousiastes quant à la création de nouveaux réseaux de communication, qui leur permettraient d'échanger leurs points de vue de manière cadrée et constructive. Même si nous espérons tous retrouver rapidement le chemin des courts, la période actuelle est l'opportunité de mettre ces stratégies en place ...
Le webinaire Arbitrage est à revoir en intégralité sur la chaîne YouTube de la FFSquash :