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LE SQUASH AUTREMENT (N°7) : HISTOIRE D'UNE RENCONTRE ...
Événements 23/09/2019Votre rendez-vous mensuel Le Squash autrement observe la discipline sous un angle plus large que celui de l'actualité sportive instantanée.
Depuis quelques mois, les joueuses du pôle France de Créteil travaillent avec un nouveau préparateur physique, et la période estivale a été très intense. Les résultats ne se sont pas fait attendre en ce début de saison 2019-2020, et on a profité de leur présence à l'open de France à Nantes pour en savoir plus sur la rencontre entre Frédéric Pfeferberg et l'entraîneur national Philippe Signoret. Entretien passionnant avec deux passionnés.
Jérôme Elhaïk : Philippe, Frédéric, bonjour. Ma première question est très simple : est-ce que vous vous connaissiez avant de commencer à travailler ensemble ?
Philippe Signoret : Fred, je vais me permettre de répondre en premier. Non on ne se connaissait pas du tout, mais on a un ami commun, Stéphane Poutz. C'est un fou de squash, qui a 10 000 idées à la seconde et m'en fait souvent part. Parfois j'en tiens compte, d'autres fois non. Je dois avouer que sur ce coup-là, j'ai failli ne pas l'écouter (rires) ... Je me souviens bien, quand il m'a parlé de Fred et m'a suggéré qu'on devrait se rencontrer, c'était en avril et j'étais à El Gouna. J'ai accepté, par politesse mais aussi par curiosité car je suis ouvert à toutes les choses qui peuvent faire progresser les joueuses. Je précise qu'au départ, c'est surtout Camille (Serme) qui était concernée et pas forcément les autres membres du pôle. On s'est donc vus à mon retour d'Égypte, et le courant est passé immédiatement. À tel point qu'on a très rapidement abordé les modalités de mise en place d'une collaboration entre nous.
Aux côtés du kiné Florent Ehrstein et de Philippe Signoret, Frédéric Pfeferberg (à droite) n'a pas raté une miette des matches de Camille Serme à l'open de France (Crédit photo : Ladies Squash)
J.E. : Juste pour préciser les choses, comment se passait la préparation physique des joueurs et joueuses du pôle France de Créteil avant l'arrivée de Frédéric ?
P.S. : En ce qui concerne Camille, elle travaillait depuis de très nombreuses années avec Frédéric Roualen. Mais ce dernier s'occupe entres autres de l'équipe de France féminine de judo (NDLR : qui a eu d'excellents résultats dernièrement) et pouvait seulement être présent quelques heures par semaine. Mathias Ricard, également impliqué dans le judo, est aussi intervenu ponctuellement auprès des joueuses. Comme je le disais précédemment, je me remets constamment en question et je vais vous donner un exemple. Les commentateurs de SquashTV vantent souvent les qualités physiques de Camille, mais j'ai toujours pensé qu'elle avait des choses à améliorer dans ce domaine : certaines balles qu'elle n'arrive pas à aller chercher, frapper plus fort, etc. Partant de là, l'idée d'un changement a commencé à germer dans mon esprit ...
J.E. : Frédéric, peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours ?
Frédéric Pfeferberg : J'ai travaillé dans le droit et la finance pendant de nombreuses années, tout en pratiquant la force athlétique à haut niveau. En 2003, j'ai décidé d'assouvir ma passion en passant mes diplômes de prof de fitness. Aujourd'hui, je suis également conférencier et formateur dans ce domaine : ce que j'aime avant tout, c'est transmettre.
« Je perçois des similitudes entre le squash et plusieurs autres sports » Frédéric Pfeferberg
J.E. : Que savais-tu du monde du squash ?
F.P. : Pas grand chose, même si je l'avais pratiqué de manière épisodique dans le passé, car il y avait un court dans une entreprise dans laquelle j'ai travaillé. Par contre, je connais bien le tennis, ainsi que le badminton car je suis préparateur physique du numéro 1 français, Brice Leverdez. D'ailleurs, quand je décortique les ralentis je perçois des similitudes dans les mouvements entre le squash et ces deux sports, ainsi qu'avec la boxe et le poste de gardien de but au football.
J.E. : Après quelques mois en immersion, quelle est ta vision de la discipline ?
F.P. : Je trouve que c'est un sport ludique, avec un esprit fraternel un peu comme dans le surf. Les joueurs ne sont pas des ennemis, et il y a un véritable partage. C'est également intéressant que l'arbitre soit au milieu du public, à ma connaissance on ne retrouve ça dans aucun autre sport. Sur le plan technique, j'ai évidemment encore beaucoup de choses à apprendre.
P.S. : Le fait que Fred soit sur place à Nantes cette semaine est un gain de temps énorme, car on regarde les matches ensemble. Je peux lui expliquer certains points spécifiques à notre discipline, que l'on voit mieux sur place qu'en vidéo. Dans la mesure du possible, il viendra sur d'autres tournois, par exemple à Monaco. J'en profite d'ailleurs pour faire une parenthèse : parfois des gens me demandent, "pourquoi est-ce que tu te déplaces sur les tournois avec les joueuses, elles ne peuvent pas être en autonomie ?" Dans les sports avec plus de moyens, par exemple le tennis, on ne se pose même pas la question, les joueurs de top niveau se déplacent sur tous les tournois avec l'intégralité de leur staff. Être accompagné de son entraîneur, son kiné et son préparateur physique, comme peut l'être Camille cette semaine, c'est un atout non négligeable.
Camille Serme après sa victoire à l'open de France en compagnie de son staff. De gauche à droite : Frédéric Pfeferberg (préparateur physique), Florent Ehrstein (kiné) et Philippe Signoret (entraîneur) (Crédit photo : Lauranne Rochais)
J.E. : Concrètement, comment se déroule le travail au quotidien ?
P.S. : La coïncidence, c'est que Fred gère une salle de fitness à La Varenne-Saint-Hilaire, à 10 minutes de notre centre d'entraînement. C'est donc très pratique : soit il vient à Créteil, soit les filles se rendent à la salle. On est aussi amenés à travailler de temps en temps en extérieur, par exemple sur piste.
F.P. : On établit le programme de la semaine ensemble : séances physiques, techniques, tactiques etc. Mais rien n'est figé, et je suis quelqu'un qui fonctionne beaucoup au ressenti : on prend en compte l'avis des athlètes, des kinés etc. Un sportif de haut niveau est un peu comme un Formule 1, avec des réglages de précision ... Tous ces éléments sont des morceaux qui doivent être assemblés pour converger vers la performance.
« Je suis un passionné, quand je me lance dans quelque chose c'est forcément à 100 % » Frédéric Pfeferberg
J.E. : Quelle part de ton temps consacres-tu au squash en ce moment ?
F.P. : C'est difficile à dire, mais une chose est sûre : dans ma tête, je suis à 100 %. Je suis un passionné, et quand je fais quelque chose je ne conçois pas de le faire autrement qu'à fond ...
P.S. : Je vais vous raconter une anecdote à ce sujet. Fin août, Camille est partie seule faire un tournoi exhibition à Seattle, et avec le décalage horaire les matches étaient très tard en France. Il était 4 heures du matin quand je me suis connecté sur Facebook pour regarder son match contre Nour El Tayeb, et Fred était également en ligne alors qu'on n'en avait pas parlé avant !
Après avoir construit leur complicité pendant une préparation estivale studieuse, Frédéric Pfeferberg et Camille Serme l'ont renforcé dans la victoire à Nantes (Crédit photo : Nathan Clarke)
J.E. : Est-ce que vous avez défini des échéances, en termes de résultats etc. ?
P.S. : Quelque part, on se met un peu de pression, comme on s'investit beaucoup on a envie que les choses avancent et d'avoir des résultats rapidement (NDLR : cet entretien a été réalisé avant la victoire de Camille Serme à l'open de France, puis celles de Mélissa Alves et Auguste Dussourd au Canada samedi). Mais il ne faut pas oublier que si Mélissa et Énora ont commencé la préparation très tôt (début juin), Camille ne les a rejointes que la deuxième semaine de juillet, car auparavant elle a disputé les finales du World Tour puis a participé à une opération de promotion du squash au Kenya.
F.P. : J'ajoute que le travail entrepris est basé sur le long terme, nous n'en sommes qu'au début. Tu parles d'échéances, c'est certain qu'on aimerait que les joueuses atteignent leur pic de forme au championnat du monde individuel (24 octobre – 1er novembre en Égypte). Je crois que le squash est un sport de résilience : tous les joueurs connaissent des hauts et des bas dans une saison et doivent savoir rebondir. Ça tombe bien, c'est également dans mon fonctionnement de me remettre en question au quotidien.
« Ça n'a pas été facile de faire accepter ce changement aux filles » Philippe Signoret
J.E. : Philippe, est-ce que les filles ont accepté facilement ce changement de méthode ?
P.S. : Pour être tout à fait honnête, ça a été compliqué au début. Elles ont été surprises par le contenu des séances, avec beaucoup de travail en salle. Elles ont eu peur de prendre trop de masse musculaire, notamment Camille. C'était moins le cas pour Mélissa, qui a été habituée à la musculation lors des quatre années qu'elle a passées en université américaine.
F.P. : Je leur ai expliqué qu'en réalité elles allaient "sécher" (sic) et s'affiner, et que le gain de masse musculaire serait compensé par la perte de masse grasse. Pour leur prouver, je dispose d'une balance impédancemètre à impulsions, qui permet de déterminer la masse musculaire et la masse grasse pour chaque muscle.
P.S. : Ce qui est intéressant avec Fred, c'est qu'il possède plusieurs cordes à son arc : il est également nutritionniste, et conseille donc les joueuses en matière d'alimentation.
Le stage à Biarritz a été une étape importante de la préparation estivale des joueuses du pôle France (Crédit photo : Frédéric Pfeferberg)
J.E. : Philippe, il y a quelques semaines tu me racontais qu'un moment charnière de la préparation avait été la victoire de Camille sur Amanda Sobhy à Seattle.
P.S. : Tout à fait. On sortait d'un stage très intense au pays Basque, et avant le match Camille me disait qu'elle avait les jambes lourdes et qu'elle sentait que ça allait être compliqué. Elle a été menée 2-0, mais elle a pris complètement le dessus physiquement au fil du match avant de s'imposer en cinq jeux. Je crois que ça a été un déclic, car ça a rassuré tout le monde sur le bien-fondé de la préparation.
F.P. : Philippe parlait à l'instant du stage à Biarritz, qui a été un autre moment très important selon moi. C'est là-bas qu'on a appris à se connaître. On a notamment fait une randonnée en montagne, et j'avoue que j'ai souffert. Mais j'ai été au bout de moi-même, car je voulais leur montrer qu'on doit tous se donner à fond, elles comme moi. Dans l'ensemble, ça a été une semaine très intense, avec trois séances par jour.
P.S. : Même Énora, qui est une stakhanoviste et en demande toujours plus, ne la ramenait pas trop (rires) ...
« La victoire de Camille contre Amanda Sobhy au tournoi exhibition de Seattle a été un déclic pour tout le monde » Philippe Signoret
J.E. : Pouvez-vous donner des exemples des nouvelles choses qui ont été mises en place ?
P.S. : Il y a eu du travail de vitesse et de coordination sur piste auquel les filles n'étaient pas habituées, par exemple un test Luc Léger que je qualifierais de "déstructuré" car contenant une grosse part d'incertitude dans ce qui leur était demandé.
J.E. : Je crois que vous avez également ajouté des séances supplémentaires pendant les tournois, ce qui ne se faisait pas avant.
P.S. : En y réfléchissant, on s'est rendus compte que les jours de compétition, les filles faisaient un petit practice de 15-20 minutes, et un match qui dans certains cas peut être très court (surtout si c'est en deux jeux gagnants comme c'était le cas en début de tournoi à l'open de France). Elles travaillent donc beaucoup moins que lors d'une semaine "normale," on peut même parler de désentraînement (sic). Quand on leur a parlé d'ajouter des séances pendant les tournois, elles nous ont regardé avec de grands yeux. Mais je le répète, le match de Camille contre Sobhy a été un véritable déclic, et c'est désormais quelque chose d'établi.
F.P. : On a également légèrement modifié le planning. Auparavant, dans les périodes hors tournoi elles n'avaient pas de séance le weekend, maintenant la semaine va du lundi au samedi. Je leur demande également d'avoir une activité physique le dimanche, par exemple un footing. Néanmoins, les plages de repos sont également importantes, et le mercredi après-midi est libre. Tout est une question d'équilibre, il faut allier rigueur et plaisir. Il n'y a pas que le résultat qui compte, et je veux qu'à la fin de chaque tournoi, elles puissent se dire qu'elles ont pris du plaisir sur le court.
Sous la houlette de leur nouveau préparateur physique, les joueurs et joueuses du pôle France n'ont pas chômé pendant l'été (Crédits photo : Frédéric Pfeferberg)
J.E. : Philippe, je ne peux pas m'empêcher de te poser la question : tu n'as pas quelques regrets de ne pas avoir entamé ce travail plus tôt ?
P.S. : Je ne vais pas te mentir, ça m'a un peu travaillé ... Mais je me suis également souvenu d'une chose que m'avait dit Paul Sciberras (NDLR : entraîneur historique de Thierry Lincou, et référence dans la discipline) : même si certaines personnes disent qu'on aurait pu avoir de meilleurs résultats en faisant ceci ou cela, Camille a atteint la deuxième place mondiale dans son sport et c'est donc qu'on n'a pas trop mal travaillé ... Néanmoins, elle se remet constamment en question, et c'est valable pour moi aussi. Comme je le dis souvent, je suis aujourd'hui un entraîneur complètement différent d'il y a 23 ans, quand j'ai commencé à m'occuper d'elle : sans doute que si c'était à refaire, je n'utiliserais pas du tout les mêmes méthodes. Je crois aussi que la vie est faite de rencontres, et que celle avec Fred est arrivée à un moment où Camille était réceptive et où on avait besoin d'un nouveau souffle.
F.P. : Je suis d'accord avec Philippe, c'est une question de timing. Regardez par exemple Roger Federer et Rafael Nadal : au fil des années, ils ont sans cesse fait évoluer leur jeu, mais ils n'auraient sans doute pas pu faire ces changements quand ils étaient plus jeunes.
P.S. : Je sais qu'avec Camille on a fixé une échéance de trois ans pour qu'elle atteigne ses objectifs (n°1 mondiale et championne du monde), mais quand je vois comment son jeu évolue je me dis qu'elle pourrait jouer pendant 10 ans !
F.P. : Une autre partie de la préparation physique, et de mon travail, est d'ailleurs de lui éviter les blessures afin qu'elle puisse évoluer à son meilleur niveau le plus longtemps possible.
« Je crois que c'était le bon moment pour notre rencontre avec Fred » Philippe Signoret
J.E. : Dernière question : lorsqu'on est des passionnés comme vous, constamment en quête d'axes de progression et d'amélioration, comment fait-on pour déconnecter ?
P.S. : C'est avant tout difficile sur le plan familial, car en moyenne on est en déplacement dix jours par mois. Parfois, on n'a pas très envie de partir, mais quand la compétition débute la passion reprend vite le dessus. L'ingrédient indispensable, c'est d'avoir une épouse compréhensive ...
F.P. : Je suis d'accord. En ce qui me concerne, j'ai la chance d'avoir une femme dont le métier – le chant lyrique, que je pratique également – est aussi la passion, et qui comprend donc parfaitement que je m'investisse corps et âmes dans ce que je fais.